Des enfants qui hurlent s’affichent dans le métro parisien. Que se passe-t-il ? Les images sont insupportables : je m’imagine accompagnée d’un enfant de 3 ans, confronté aux visages traumatisants de ses alter ego.
A ses inévitables questions, quelle explication donner ? Or, d’explication, les affiches n’en portent point : pas d’indication de marque ou de slogan, juste un hashtag makeachildcry.
Mince j’ai dû rater un épisode, c’est la nouvelle série gore de Canal ? Une pub Benetton?
Je sors mon portable…Twitter… #makeachildcry... Apparemment, l’info fait le buzz. On trouve même une vidéo. Je clique dessus, avec le son, ça devient carrément pénible : plusieurs personnes se retournent vers moi. Et là, je découvre : « Faire pleurer un enfant ça peut lui sauver la vie », signé Médecins du Monde (MdM) ! Faire pleurer pour soigner, quelle drôle d’idée, c’est quoi le message ? MdM fait du mal ou fait du bien ? MdM fait du bien en faisant du mal, c’est limite malsain.
« Tous les enfants n’ont pas la chance de pleurer » dit la campagne, les larmes ne sont donc plus symbole de souffrance mais de survie. Ce contre-emploi audacieux se veut déroutant. Et en un sens, il réussit à me fait perdre pied, on est si loin des traditionnelles images d’enfants dans la misère. La compétition entre associations humanitaires est donc si rude qu’on ne se refuse aucun procédé ? MdM est allé jusqu'à créer un site dédié #makeachildcry, presque une sous-marque, qui explique combien d’enfants je vais sauver avec mon don d’un montant fixé à 40 (10 enfants), 80 (180 enfants) ou 160 euros (480 enfants). En matière de transparence à l’égard des donateurs, c’est réussi, mais avec de telles sommes, je me demande si l’ONG n’en demande pas un peu trop aux followers de réseaux sociaux.
Et d’ailleurs, qui cible-t-on avec cette campagne ? De jeunes donateurs qui n’ont pas encore d’enfants, et qui vont peu ou prou s’identifier ? Des parents, auxquels la vue de ces jeunes enfants sera insupportable ? J’appartiens à la seconde catégorie. Mais eux, les jeunes, qu’en pensent-ils ? Vont-ils faire un don sur fonds propres, demander à leurs parents de pourvoir ? Vont-ils contribuer à la viralité de la campagne sans rien donner ? Et surtout, ont-ils été conscients d’avoir été émotionnellement pris en otage ?
Pour le buzz, pas de doute, la campagne de l’agence DDB est réussie or « s’informer c’est déjà agir » nous dit MdM : nous serions donc face à une ONG qui s’engage jusqu'à faire pleurer quand c’est pour la bonne cause. Quitte à imprimer dans l’esprit du spectateur l’idée qu’une maltraitance – réelle car les pleurs des enfants ne sont pas feints – peut avoir du bon.
En date du 30 octobre, la vidéo de Médecins du Monde sous l’emblème #makeachildcry a été visionnée 550 000 fois et les dons générés ont permis de « sauver » 4900 enfants. L’essai de DDB n’est pas vraiment transformé.
MdM, c’est la marque qui ose tout. Mais la fin justifie- t-elle les moyens ?
Catherine D, Isabelle C, Asmaa C, Véronique B